ATTITUDE DES SOLDATS DU CI DE OUED-SMAR LORS DU PUTSCH DES GENERAUX FELONS EN AVRIL 1961
Je précise que notre CI était disciplinaire. Je n'avais pas 20 ans.
Le putsch s'est déclenché dans la nuit du vendred 21 au samedi22 avril 1961 .
Bien qu'habitués au réveil matinal, nous avons brusquement été réveillés par des bruits insolites de véhicules chenillés. Notre camp était investi de blindés légers de la légion étrangère, les fantassins au béret vert, armés jusqu'aux dents, étaient déployés en tirailleurs. Nous ne comprenions pas ce qui se passait. L'écoute de radio Alger sur les transistors ne nous donnait à entendre que de la musique militaire.
Les treize pied-noirs de notre compagnie ne cachaient pas leur joie alors que nous les métropolitains, nous ne partagions pas leur exubérance. On se méfiait donc des treize pied-noirs que nous savions acquis aux généraux putschistes.
Curieusement, du lieutenant MERVIEL au serpatte Corse, les engagés s'étaient tous volatilisés. Nous n'avions plus de chefs. Entre appelés, les discussions étaient incessantes et animées. Nous étions tous d'accord et refusions de suivre les généraux félons mais, que faire? Comment procéder pour marquer notre opposition à ces traîtres. Le travail au corps des militants des jeunesses communistes, nous ne nous connaissions pas, en direction des appelés moins politisés, fut intense. Sur toute la compagnie, à l'exception des treize pieds-noirs, seul un métropolitain qui professait des idées extrémistes favorables aux séditieux, tentait d'entrainer les gars avec les factieux. Nous l'avons isolé.
Nous les appelés, nous étions tous favorables au refus de tout travail et de tout ordre des chefs. La situation était incontrôlable et dangereuse puisque nous ne savions pas ce qui se passait dans les autres unités, les factieux s'étant rendus maitre de tous les médias. Les mercenaires au bérêt vert de la légion étrangère trainaient alentours. J'ajoute que les bérêts noirs des commandos de l'air parachutistes étaient avec le 1er REP l'un des fer de lance des putschistes,
Dans l'après-midi de ce 22 avril 1961 , trois anciens de la BA149 sont venus dans nos piaules pour discuter avec nous de la situation sur la base. Ils nous ont dit que tous les appelés de la BA149 et tous les marins de l'aéronavale étaient en grève. Les trois anciens nous ont demandé de nous joindre à eux. Sans aucune hésitation, nous avons accepté.
En fin d'après-midi de ce samedi 22 avril 1961 , le colonel LANGLOIS, commandant la BA149 est venu dans nos barraques, flanqué du serpatte Corse, la cravache à la main. Le Corse a gueulé : "A vos rangs, fixe!". Personne n'a bougé. Le faux-cul de colonel LANGLOIS, a essayé de bredouiller qu'il ne fallait pas suivre les anciens alors que nous refusions tout travail et obéissance à nos supérieurs. Un camarade soldat a demandé à LANGLOIS de se positionner contre les factieux. LANGLOIS ne l'a pas fait et n'a pas condanmé les félons. LANGLOIS et son chien de garde Corse ont piteusement rebroussé chemin.
Dimanche 23 avril 1961 au soir :
De Gaulle s'est exprimé à la télévision. Il a demandé de mettre les généraux félons en échec.
Je précise pour l'avoir moi-même vécu, que nous n'avons pas attendu après De Gaulle pour nous opposer par le refus d'obéissance aux généraux putschistes.
Lundi 24 avril 1961 : Les soldats des bases aériennes de Maison-Blanche et de Blida manifestent leur opposition aux factieux par une vive résistance. A Maison-Blanche, l'Internationale est chantée par les soldats. Toujours à Maison-Blanche, les soldats de l'aéronavale et de l'aviation sont toujours en grève. Les mécaniciens avions " sabotent " volontairement les appareils en enlevant une pièce maitresse par crainte que les factieux ne forcent les pilotes à utiliser les avions à des fins séditieuses. Les personnels navigants (P.N.) ont capté la longueur d'onde des véhicules de la légion étrangère. Ils ont émis un faux message, leur ordonnant de se diriger sur Alger. Ce subterfuge, pour éloigner la légion, leur faisait croire à un débarquement de fusiliers-marins, en provenance d'Hyères-Palivestre et qui devait les encercler.
Mardi 25 avril 1961 : Des Nordatlas 2501 décollent de pistes différentes pour la métropole, bondés de bidasses. Grâce à cette action habile, les pilotes ont privé les putschistes d'un important moyen de transport aérien. L'un des avions s'est " crashé " en bout de piste sans gravité pour les gus , qui étaient nombreux pour un baptême de l'air improvisé. Nous étions sur la base où nous y avons vu des scènes incroyables, telle cette jeep qui roulait à l'aveuglette car une grappe humaine y était accrochée. Il y avait même des bidasses sur le capot. Il s'agissait de malades et de blessés légers en pyjamas, qui étaient sortis d'eux-mêmes de l'infirmerie. Ils brandissaient et agitaient des drapeaux tricolores. Des sous-officiers sillonnaient la base en voitures civiles, avec des drapeaux à croix de Lorraine, en criant ' Vive De Gaulle !".
Autre fait marquant de ce mardi 25 avril 1961 : Les bérêts verts de la légion étrangère rappliquent pour boucler le parking sur lequel nous nous trouvions. Les officiers furieux hurlaient leurs ordres en allemand. Parmi ces allemands, il y avait d'anciens S.S. Je revois encore ces pilotes de l'armée de l'air, regardant comme nous, la scène. Un capitaine pilote s'est écrié : " Nous sommes " faits aux pattes " , alors qu'en même temps les légionnaires, ces mercenaires se ruaient sur les pilotes, sans ménagements, à coups de crosses dans les côtes. Cela se passait à quelques pas de nous. Les carottes étaient déjà cuites pour les factieux.
Si ma mémoire ne me trahit pas, c'est le matin du mardi 25 avril 1961 que le lieutenant Merviel est revenu parmi nous. Il a rassemblé la compagnie sur la place du drapeau. Il venait faire ses adieux aux gus du CI. Visiblement très ému et fier de ses bleus , il nous a demandé s'il pouvait compter sur nous. " Que les volontaires sortent du rang en avançant d'un pas !". Toute la compagnie a avancé, à l'exception de l'extrèmiste de droite métropolitain. Le lieutenant Merviel avait les larmes aux yeux. Nous aussi. Il nous a remercié individuellement en passant dans les rangs pour serrer la main et dire quelques mots de sympathie à chacun d'entre nous. Lorsqu'il est arrivé près de moi, la main franchement tendue, j'ai vu dans ses yeux une intense émotion. Il m'a dit : " Toi aussi, petit Tourtaux, tu es volontaire "? Il a ajouté : " Nous nous reverrons". Je ne l'ai jamais revu.
Communiste, j'étais fiché. Il savait que j'étais marqué à l'encre rouge.
En contribuant à la mise en échec des généraux factieux, nous avons fait notre devoir, voilà tout. Ce fut la seule fois où je fus volontaire en Algérie.
Le mercredi 26 avril 1961 , le C.I. étant terminé, c'est dans l'après-midi qu'avec une petite quinzaine de gus, je suis muté dans notre nouvelle affectation, l'ETR805, à Mouzaïaville.
Parmi les occupants du GMC, trois ou quatre pied-noirs qui ont soutenu les généraux factieux.
Mouzaïaville est située dans la Mitidja, près de Blida et des gorges de La Chiffa, un des hauts lieux de la Résistance algérienne à l'occupation coloniale française.
Notre GMC s'est arrêté à une intersection de routes pour laisser passer une importante colonne militaire qui n'était autre que le 1er REP (Régiment étranger parachutiste), fer de lance des séditieux. Les mercenaires du 1er REP qui étaient en fuite chantaient la chanson d'Edith Piaf " Non, rien de rien, non, je ne regrette rien " .
Lors du passage du dernier véhicule de cette troupe d'élite, fer de lance des généraux putschistes, les mercenaires au bérêt vert ont tiré plusieurs rafales de MAT49 dans notre direction. Personne ne fut touché dans le GMC .
Ainsi, les généraux félons Salan, Challe, Jouhaux et Zeller, des officiers de haut rang, parmi les plus décorés de l'armée française, ont tourné leurs armes contre la République qu'ils avaient pour mission de défendre. Des mercenaires légionnaires, portant l'uniforme de l'armée française ont tiré sur des soldats de conscription, portant aussi l'uniforme de l'armée française.
La Résistance des appelés du contingent au putsch et la mise en échec des généraux félons, en avril 1961, fut, me semble-t-il, la seule page glorieuse à mettre à l'actif de l'armée française lors de la Guerre d'Algérie. Nous en sommes fiers car nous n'avons pas à en rougir.
Mouzaïaville (Mitidja) : En fin d'après-midi du 26 avril 1961, arrivée à la Base Ecole de Transmissions, l'ETR805, à Mouzaïaville.
Les quelques appelés en provenance de Oued-Smar sont mis à l'écart. A l'appel de mon nom, un gradé m'a isolé des autres soldats puis emmené au bureau. L'accueil du gratte-papier fut glacial, il m'a dit : "tu es repéré comme communiste, t'as intérêt à ne pas faire le malin".
Je n'ai pas souvenance du nom du colonel commandant notre camp. C'était un pilote de chasse interdit de vol qui, le dimanche, allait à la BA140 de Blida pour y "empreinter" un avion de chasse T6. Le colonel aimait survoler notre camp au-dessus duquel il faisait plusieurs passages en "battant des ailes".
La S.P. (Section de Protection) était une des unités qui crapahutaient et exécutaient le plus de missions de l'Algérois, selon le journal de propagande de l'armée " Le Bled ".
Les stagiaires transmissions ne chômaient pas avec les corvées débiles et ingrates, le stage, les gardes, les embuscades, les patrouilles, les bouclages-ratissages, les gardes-fermes de nuit, la Section d'Intervention Rapide (SIR)ensuite le peloton obligatoire, etc...
L'insécurité était permanente à Mouzaïaville. Des gus pas rassurés partaient en patrouille la MAT49 armée. A plusieurs reprises, des rafales sont parties, semant la panique au sein des patrouilles. Par chance, pas de blessés à déplorer mais la répression était terrible contre les fautifs.
Des sous-officiers de carrière cherchaient à choper l'arme de bidasses de garde endormis pendant leur faction dans le mirador.
Lors des multiples sorties où je ne voulais pas tuer de pauvres gens, j'ai toujours eu la baraka. Je redoutais surtout la SIR où nous allions en renfort à la S.P., l'équivalent à Mouzaïa d'un commando de chasse, une section de tueurs, ais-je appris des années après.
Lors des gardes-fermes uniquement de nuit, nous n'étions que sept soldats avec un FM à la ferme Féréol, une ordure qui n'aimais pas les appelés, qui a failli me faire retourner chez BIRR, à Oued-Smar parce que j'avais pris une noix sur l'arbre. Cette ordure aurait été butée par l'ALN.
Nous n'étions que trois pauvres bougres à la ferme Cleyne, ce pied-noir nous fichait la paix.
Les fermes étaient souvent harcelées mais on ne tirait jamais la fusée rouge pour que la S.P sorte et risque de tomber en embuscade. Par contre, très souvent, dans les fermes alentours gardées par des biffins, beaucoup plus nombreux que nous dans les fermes, les gars lançaient la fusée rouge faisant courir le risque à d'autres soldats d'être pris en embuscade.
Dans ce secteur chaud où l'ALN était très active, il n'y avait pas de planqués à l'ETR805. Il n'y avait pas assez de bonhommes, d'où la fréquence rapprochée des sorties et garde-fermes qui revenaient au mieux tous les trois jours.
A Mouzaïa, lorsqu'un gars de la S.P. passait libérable, c'est-à dire à 100 jours de la "quille", systématiquement, il refusait de sortir en mission. Ces gars qui avaient de longs mois durant crapahuté, ne voulaient pas se faire tuer à si peu " au jus ".
A Mouzaïa, on crevait de faim; à cela s'ajoutait la dysenterie amibienne. Nous ne prétions pas attention à tout et nous ne pouvions pas savoir que certains dimanches rares où nous avions de la viande, que l'on croyait être du lapin, c'était du chat. En fait, étaient abattus les chats non vaccinés, errants dans le camp, et on nous les donnait à bouffer en guise de viande. C'est un copain paysan qui avait un bout de queue dans son plateau qui a deviné qu'on nous faisait grailler du chat. Ce jour-là, on a tous failli bouffer.
Dans ce secteur, quasiment tous les jours, ça accrochait dans les gorges de La Chiffa, confirmé par mon camarade Henri Alleg, dans son ouvrage, " Prisonniers de guerre ", page 17.
Près de notre camp, il y avait un sinistre et miséreux Camp de regroupement.
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Il y a 60 ans, un putsch de généraux pour l'"Algérie française"
Il y a 60 ans, un putsch de généraux pour l'"Algérie française"© AFP/Archives/STF
Source AFP Publié le 19/04/2021 à 11h31
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, quatre généraux français opposés à l'indépendance de l' Algérie font sédition et s'emparent d'Alger avec des légionnaires et parachutistes, défiant le général de Gaulle au pouvoir.
Le putsch des généraux Maurice Challe, Edmond Jouhaud, André Zeller, en liaison avec le général Raoul Salan qui les rejoint le 23 depuis l' Espagne, sera bref, à peine cinq jours, et il échouera.
L'histoire est en effet en marche: le 16 septembre 1959 de Gaulle a admis le droit des Algériens à l'autodétermination et, le 8 janvier 1961, les Français ont voté à 75 % en sa faveur lors d'un référendum ouvrant la voie à l'indépendance du pays colonisé par la France.
Pour une partie des cadres de l'armée française, déjà humiliés par la défaite en Indochine, c'est une trahison insupportable du pouvoir, incarnée par le général de Gaulle devenu président de la République, et qui vient d'évoquer, le 11 avril, un “Etat souverain” en Algérie.
Les quatre putschistes ne seront pas seuls, d'autres généraux au rang moins prestigieux les suivront, mais sans un basculement total de la haute hiérarchie militaire et sans les soldats de l'armée de conscription.
“Garder l'Algérie”
Dans la nuit du 21 au 22 avril, le 1er régiment de parachutistes du commandant de Saint-Marc, cantonné à Zeralda, fait route sur Alger et investit le Palais d'été où siègent la Délégation Générale, les bâtiments officiels, la radio et les centraux téléphoniques et télégraphiques. Le centre d'Alger est quadrillé de chicanes.
Le délégué Général du gouvernement, Jean Morin, et le ministre des Travaux publics, Robert Buron sont arrêtés ainsi que le Général Fernand Gambiez, commandant en chef des troupes en Algérie, qui tentait de regagner son PC.
Le 22 au matin, l'AFP, dont les journalistes à Alger ont au petit jour été empêchés de travailler par les putschistes, annonce l'état de siège, puis, d'après un communiqué diffusé sur Radio Alger, que "l'armée a pris le pouvoir en Algérie et au Sahara".
L'Agence relaie une déclaration du ministère de l'Information : "L'indiscipline de certains chefs et de certaines troupes a abouti ce matin à Alger à placer les pouvoirs civils et militaires dans l'impossibilité d'exercer leur commandement. La situation dans le reste de l'Algérie est calme. Le gouvernement a pris cette nuit les mesures nécessaires, qui seront publiées dans le courant de la journée".
A Alger, le général Challe lance un appel : "L'armée s'est assurée le contrôle du territoire saharo-algérien. L'opération s'est déroulée conformément au plan prévu. Je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud, en liaison avec le général Salan, pour tenir notre serment : garder l'Algérie."
Le général Zeller décrète l'état de siège "sur l'étendue des 13 départements français d'Afrique" tandis que le général Pierre-Marie Bigot, commandant la 5e région, se place sous les ordres du général Challe. Dans l'après-midi, Radio-Alger annonce qu'Oran est aux mains des insurgés.
“Un quarteron de généraux”
A Paris, un conseil des ministres exceptionnel proclame l'état d'urgence.
Mais déjà en Algérie les premières défections apparaissent du côté de l'armée. A Mers-el-Kébir, la Marine refuse de suivre la sédition. Les généraux de Pouilly et Gouraud, commandants militaires d'Oranie et du Constantinois, repoussent l'ultimatum des putschistes. Gouraud se ralliera finalement le lendemain.
Le 23 avril à 20H00, Charles de Gaulle, en uniforme, lance sur les ondes sa célèbre condamnation du “pronunciamiento” et moque un "quarteron des généraux en retraite", "groupe d'officiers partisans, ambitieux et fanatiques". "J'interdis à tout Français, et d'abord à tout soldat, d'exécuter aucun de leurs ordres", dit-il, déplorant d'un trois fois Hélas ! que le coup de force émane d'hommes "dont c'était le devoir, l'honneur, la raison d'être, de servir et d'obéir".
Il annonce la mise en oeuvre de l'article 16 de la Constitution qui lui donne les pleins pouvoirs.
Michel Debré, Premier ministre, intervient ensuite : "Des avions sont prêts à lancer ou à déposer des parachutistes sur divers aérodromes afin de préparer une prise de pouvoir" (...) "Dès que les sirènes retentiront, allez-y à pied ou en voiture, convaincre des soldats trompés de leur lourde erreur", demande-t-il.
La débandade
Le lendemain, Challe, Salan, Jouhaud, Zeller, les colonels Godard, Argoud, Broizat et Gardes sont destitués par Paris. En Algérie, dans le bled, les appelés multiplient les actes de résistance à la sédition : brouillage des communications, sabotage des véhicules et dépôts d'essence. Les gendarmes reprennent Alger.
Le 25 avril, les légionnaires du 1er REP se réfugient au camp de Zeralda qu'ils quitteront le 27, leur unité étant dissoute. Le gouvernement reprend la radio d'Alger. L'insurrection est terminée.
Deux des putschistes, Maurice Challe puis André Zeller, se constituent prisonniers. Edmond Jouhaud et Raoul Salan passent à la clandestinité pour prendre la tête de l'Organisation armée secrète (OAS).
Challe et Zeller seront condamnés à 15 années de détention. Jouhaud et Salan, condamnés à mort par contumace, verront leur peine commuée en détention à vie en 1962 par le général de Gaulle. Ils seront tous amnistiés en 1968, six ans après l'indépendance de l'Algérie.
19/04/2021 11:30:19 - Paris (AFP) - © 2021 AFP