Amérique Latine en Résistance : les défis de Xiomara Castro
17 Fév 2022
JESSICA DOS SANTOS / RICARDO VAZ
Éditorial / Arrivée au pouvoir tumultueuse au Honduras
Le 28 novembre dernier, Xiomara Castro de Zelaya est devenue la première femme présidente du Honduras après une victoire écrasante aux élections présidentielles de ce pays d’Amérique centrale.
Pourtant, avec un pays en difficulté économique, gangrené par le trafic de drogue et, qui plus est, stratégiquement important dans «l’arrière-cour» des États-Unis, sa mission de mettre la politique au service de la majorité ne semblait pas évidente.
Les réactions adverses ne se sont pas fait attendre. Xiomara Castro a assumé la présidence du Honduras dans un contexte caractérisé par un congrès bicéphale et la fracture du parti qui l’a portée au pouvoir lors des élections de novembre de l’année dernière: Liberté et Refondation (Libertad y Refundación ou Libre).
Cette crise est survenue après que les deux présidents du Congrès ont parallèlement prêté serment : Luis Redondo – soutenu par Castro – et Jorge Cálix, dissident du parti au pouvoir et soutenu par les députés de l’opposition. La nouvelle présidente a dénoncé la « trahison » de 20 députés qui n’avaient pas soutenu Redondo parce qu’il était issu du Parti pour le Sauvetage du Honduras (Partido Salvador de Honduras ou PSH), fruit d’un accord pré-électoral.
Ainsi, cette faction « dissidente » de Libre a opté pour la candidature de Jorge Cálix, député de ce parti pour le département de Francisco Morazán et détenteur du titre de « député le plus voté de l’histoire ».
Suite à l’expulsion des rebelles, avec des parlements fonctionnant en parallèle (dont un par Zoom), grâce à la médiation de la représentante des Nations unies (ONU), Alice H. Shackelford et aux pétitions devant la Cour Suprême, la première crise de la présidence a trouvé solution : Cálix a cédé la présidence à Redondo et a été à nouveau admis, ainsi que ses alliés, sur les bancs du groupe parlementaire Libre.
Autre constante: l’attention portée par les États-Unis. Au milieu de la crise parlementaire, Castro a reçu la visite controversée de la vice-présidente américaine, Kamala Harris. Vu les invités présents lors de la cérémonie d’investiture présidentielle (dont le Venezuela) et les déclarations publiques de la nouvelle présidente, Washington a des raisons de s’inquiéter de l’éventualité d’avoir un nouveau voisin gênant.
Pour le nouveau gouvernement, considérer l’hégémonie du voisin du Nord avec méfiance est naturel et même recommandé. Xiomara Castro n’est autre que l’épouse de Manuel Zelaya, ancien président renversé en 2009 par un coup d’État avec la bénédiction de la Maison Blanche. Le président de l’époque était Barack Obama, et son vice-président… Joe Biden. Parmi les “crimes” de Zelaya figurent sa proximité avec les gouvernements de gauche de la région, ses projets de transformer la base militaire américaine « Enrique Soto Cano » en aéroport commercial et ses projets de réforme de la constitution.
La visite de Harris n’a été suivie d’aucune déclaration publique. Cependant, les responsables américains ont promis la réalisation d’une mission commerciale de haut niveau et l’envoi d’une délégation d’entrepreneurs pour ouvrir « des opportunités commerciales au Honduras » en soutenant le secteur privé hondurien. Les États-Unis devront également décider du sort de l’ancien président Juan Orlando Hernández, qui avait été un fidèle allié mais qui a été identifié par la justice américaine comme un acteur clé du trafic de drogue.
Malgré ces écueils, Castro a déjà dévoilé les noms de ceux qui composeront son équipe gouvernementale; elle a précisé que lors de la mise en oeuvre de son projet de « socialisme démocratique », elle concentrera ses plus grands efforts sur quatre secteurs : l’éducation, la santé, la sécurité et emploi.
À souligner parmi ses principales annonces le fait que plus d’un million de familles qui vivent dans la pauvreté ne paieront plus de factures de consommation d’énergie : « l’électricité sera gratuite dans leur foyer ».
En outre, un projet de loi sera envoyé au Congrès pour créer une subvention concernant le prix du carburant. De son côté, le ministère de l’Éducation garantira les cours en présentiel en assurant la gratuité des frais d’inscription, des collations scolaires, des vaccins et des masques.
Castro a également juré qu’il n’y aurait plus de permis pour les mines à ciel ouvert ou l’exploitation minière, ni de concessions pour l’exploitation des rivières, des bassins hydrographiques, des parcs nationaux et des forêts humides. L’une de ses promesses de campagne était également de mettre fin aux Zones d’Emploi et de Développement Économique (Zonas de Empleo y Desarrollo Económico ou ZEDES), au motif qu’elles représentent des paradis pour les hommes d’affaires et les trafiquants de drogue.
Seul le temps nous dira si Castro peut relever les défis qui l’attendent. La situation actuelle du pays, sévèrement touché par la Covid-19, représente un défi majeur. Avec des niveaux de pauvreté qui atteignaient déjà 74% avant la pandémie (et jusqu’à 82% en milieu rural), le Honduras est l’un des pays d’Amérique centrale qui compte le plus grand nombre de populations vulnérables.
https://www.investigaction.net/fr/amerique-latine-en-resistance-les-defis-de-xiomara-castro/