La politique n'est que la simple continuation de la lutte armée par d'autres moyens. Ce pourrait être du Clausewitz, c'est en réalité du Gerry Adams. Cet austère sexagénaire est le chef du Sinn Fein (« Nous seuls » en gaélique), formation qui a obtenu selon les derniers sondages sortis des urnes entre 14,9 % et 16 % aux législatives irlandaises du 26 février, devenant ainsi le troisième parti du pays. Ce score doit beaucoup au programme anti-austérité du parti, dans un pays qui a opéré l'an dernier un redressement économique spectaculaire, mais au prix d'une politique de rigueur imposée par le Premier ministre sortant, le centriste Enda Kenny. Un positionnement qui vaut au Sinn Fein d'être catalogué « gauche radicale », comme Syriza en Grèce, Podemos en Espagne ou le Bloc de gauche au Portugal.
Mais, contrairement à ces nouveaux venus sur leurs scènes politiques respectives, le Sinn Fein est né au début du siècle dernier. Et son objectif ultime va bien au-delà de la volonté d'imposer plus de justice sociale. Pendant des décennies, cette formation a été, de l'autre côté de la frontière, en Irlande du Nord, la caution politique de l'Armée républicaine irlandaise (IRA), déjà sous la houlette de Gerry Adams.
La conquête de Dublin
« Le fusil dans une main, le bulletin de vote dans l'autre », selon un slogan de l'époque. L'IRA menait des opérations de guérilla contre l'armée britannique pour obtenir le rattachement de la province à la République d'Irlande, le Sinn Fein et Adams poursuivaient le même objectif sur le terrain politique. Non sans succès : l'IRA est aujourd'hui dissoute, mais, depuis plusieurs années, le Sinn Fein participe au gouvernement autonome à Belfast. Ceci étant acquis, le mouvement républicain s'est lancé à la conquête de Dublin. Député nord-irlandais de longue date, Gerry Adams a abandonné son siège en 2011 pour se faire élire au Dail, le parlement de la République, et y continuer le combat. Les mois à venir pourraient d'ailleurs l'aider à faire avancer la cause d'une réunification.
En avril, les Irlandais célébreront le centenaire des « Pâques sanglantes » ; l'insurrection qui a débouché sur l'indépendance de l'île… exception faite du Nord, plus riche, resté au sein de la couronne britannique. Un anniversaire d'une portée symbolique incontestable, mais sur le plan politique, le véritable rendez-vous est fixé au 23 juin. Ce jour-là, les Britanniques seront appelés à se prononcer par référendum sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne. Si une majorité se prononce en faveur du « Brexit », les Écossais, qui y sont très hostiles, ne seront pas les seuls à s'interroger sur leur avenir. Les Irlandais du Nord peuvent compter sur le Sinn Fein pour les inciter à faire le « bon choix ».