
Lattaque terroriste en Tunisie, qui a fauché aussi des victimes italiennes, est étroitement reliée à la situation chaotique de la Libye, souligne-t-on dans les milieux gouvernementaux et sur les médias. On oublie cependant le fait que le chaos en Libye été provoqué par la guerre Otan qui, il y a quatre ans exactement, a démoli lEtat libyen.
Le 19 mars 2011 commençait le bombardement aéronaval de la Libye : en sept mois, laviation USA/Otan effectuait 10mille missions dattaque, avec plus de 40mille bombes et missiles. Simultanément, on finançait et armait les secteurs tribaux hostiles au gouvernement de Tripoli ainsi que des groupes islamistes quon avait jusque peu de temps auparavant définis comme terroristes. On infiltrait en Libye même des forces spéciales, dont des milliers de commandos qataris. A cette guerre, sous commandement étasunien par lintermédiaire de lOtan, participait aussi lItalie avec ses bases et forces militaires (et la France : « Opération harmattan », NdT[1]).
De multiples facteurs rendaient la Libye importante pour les intérêts étasuniens et européens. Les réserves pétrolifères -les plus grandes dAfrique, précieuses pour leur haute qualité et leur faible coût dextraction- et celles de gaz naturel, qui restaient sous contrôle de lEtat libyen qui concédaient aux compagnies étrangères des marges de bénéfices restreintes. Les fonds souverains, dun montant denviron 200 milliards de dollars (disparus après avoir été confisqués), que lEtat libyen avait investi à létranger et qui en Afrique avaient permis de créer les premiers organismes financiers autonomes de lUnion africaine. La position géographique même de la Libye, à lintersection entre Méditerranée, Afrique et Moyen-Orient.
Ce sont donc les USA et les plus gros alliés Otan, comme il a déjà été amplement documenté, qui ont financé, armé et entraîné en Libye en 2011 des groupes islamistes qualifiés de terroristes peu de temps auparavant, parmi lesquels les premiers noyaux du futur groupe État islamique ; qui les ont approvisionnés en armes à travers un réseau organisé par la CIA (selon lenquête du New York Times, voir il manifesto du 27 mars 2013[2]) quand, après avoir contribué à renverser Kadhafi, il sont passés en Syrie pour renverser Assad ; ce sont encore les Etats-Unis et lOtan qui ont favorisé loffensive du groupe État islamique en Irak, au moment où le gouvernement al-Maliki séloignait de Washington, et se rapprochait de Pékin et Moscou. Le groupe armé État islamique joue ainsi de fait un rôle fonctionnel à la stratégie USA/Otan de démolition des Etats à travers la guerre couverte. Ceci ne signifie pas que la masse des ses militants, dont les histoires sont liées aux tragiques situations sociales provoquées par la première guerre du Golfe et par les suivantes, en soit consciente.
Lattaque terroriste à Tunis est advenue le lendemain du jour où Aqila Saleh, président du « gouvernement de Tobrouk », avait averti lItalie que « le groupe État islamique peut passer de la Libye à votre pays », faisant pression sur Rome pour quelle intervienne en Libye. Le ministre Gentiloni a promptement répondu « Nous ferons notre part ». Et le nouveau chef détat-major, le général Danilo Errico, a assuré que, « si le gouvernement devait donner le feu vert » à une intervention en Libye, « nous, nous sommes prêts ».
Prêts donc pour combattre aux côtés de l « Armée nationale libyenne », bras armé du « gouvernement de Tobrouk », au commandement duquel se trouve -selonlarticle documenté de The New Yorker du 23 février 2015- le général Khalifa Haftar qui, « après avoir vécu pendant deux décennies en Virginie (USA), où il travaillait pour la CIA, est revenu à Tripoli pour faire la guerre pour le contrôle de la Libye ».
Manlio Dinucci
Edition de vendredi 20 mars 2015 de il manifesto
http://ilmanifesto.info/ritorno-di-fiamma-libico-tunisino/
Traduit de litalien par Marie-Ange Patrizio
[2] « Pont aérien de la CIA pour armer les “rebelles syriens” », Manlio Dinucci, il manifesto.
Dans les médias, au moment de la publication de cet article, voir, par exemple:
Tunisie: les terroristes auraient été formés par le groupe EI en Libye, RFI, 20 mars, 9h40 am.